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l'alliance du fond et de la forme

Quels sujets abordes-tu dans tes créations ?

L’ambivalence fiction/réalité, la révélation de l’individu, la place de la femme dans un monde d'homme. Il y a aussi la question de la mort, qui ne me quitte jamais et, par conséquent, celle du sens de la vie qui vient juste derrière — avec non pas l'idée d'y répondre, mais de questionner cette drôle de question ! Je me demande aussi comment modifier nos modes de pensée, comment penser autrement... au final, je me demande comment nous affranchir de la pensée ; je me demande ce qu'elle définit de nous, et si nous en sommes réellement tributaires...

Il y a enfin la question du déni, de l’oubli de l’enfant que nous étions — qui constitue la matière fondamentale de l’individu. Et, de paire avec cette question, la notion de bonheur, de plus en plus discutée. Etre heureux, est-ce que ça va de soi ? Le bonheur est-il "naturel" ? La recherche du bonheur est-elle une fatalité ?

Tous ces sujets, je veux les aborder avec légèreté, recul et dérision, avec la contrainte de ne jamais tomber dans le pathos. Pour ça, vive la scène de music-hall !

 

En quoi certains films, comme ceux de Bob Fosse, ont-ils pu nourrir tes aspirations ?

 

Ce qui est génial chez Bob Fosse, c’est qu’il parvient merveilleusement à créer cette alchimie des disciplines et de l’artifice de la scène, tout en les assumant comme tels. Chez lui, cette alchimie existe dans tous ses tableaux. Il fait exactement la chorégraphie qu’il faut, avec la personne qu’il fait danser, portant tel costume et pas un autre, etc. Je suis littéralement transporté par sa science, par la manière avec laquelle il arrive à exploiter au plus juste le matériau des corps et de la scène — du music-hall ! — pour être dans une gestuelle qui n’est jamais futile. Son chef-d'œuvre "All That Jazz" célèbre tout le rapport de l'égo à la mort avec une lucidité sidérante. 

 

A propos de la Sublime Revanche, tu dis : « Un spectacle se profile pour moi comme l’allégorie d’une vie. Voilà le propre du spectacle vivant : ne jamais s’arrêter et entretenir le mouvement perpétuel, comme le veut la constante évolution de toute chose vivante ». Peux-tu en dire davantage ?

 

La vie se réinvente tous les jours. Tant qu’on n’est pas mort, on doit composer avec le quotidien et continuer à s’adapter et répondre aux événements de la vie. C’est la même chose pour le spectacle vivant. Ce n’est jamais deux fois la même chose, et c'est d’autant plus vrai que les paramètres sont multiples : les protagonistes en scène, pour commencer, qui sont autant de choses vivantes qui évoluent de différentes manières et augmentent exponentiellement le champ des possibles. Tous les spectacles que nous avons créés ont été amenés à évoluer, par de multiples reprises et re-créations, comme une personnalité qui se précise, vieillit, trouve sa maturité et comprend mieux la vie. Et au regard de sa propre vie, c’est un défi très excitant.

 

 

J’ai lu aussi « La Sublime Revanche se joue de l’idée reçue de vacuité au music-hall. A l’image de l’individu qui se construit de ce dont il se remplit à travers la vie, Camille Germser flirte doucement avec l’idée de pouvoir mettre ce qu’on veut dans ce qui est creux. »

 

On sait que la meilleure méthode, pour apprendre un raisonnement à un enfant, sera de le mener à découvrir ce raisonnement par lui-même, par ses propres expériences. Je crois que c’est pareil pour toute forme de connaissance ainsi qu’un bon nombre de choses dans la vie. Il me semble que le système éducatif ainsi que de nombreux fonctionnements sclérosés de notre société devraient être revus à cet endroit. On doit privilégier le creux et le fructifier du vécu et des expériences, en renouvellement constant. Entendons-nous bien, je ne prône pas l’ignorance. Je dis juste que le creux, le vide, c’est indispensable pour qu’un individu se crée avec intégrité et cohérence. Il faut être conscient de ce creux. Et en aucun cas le condamner ou forcer son remplissage. Ce creux ne doit jamais être plein pour toujours pouvoir accueillir. 

Parmi tes projets figure une pièce de Molière, Les Précieuses ridicules. Penses-tu renouveler l’expérience en te penchant sur d’autres classiques, d’autres auteurs ?

 

L'expérience s'est reproduite avec notre spectacle Federigo, d'après la nouvelle de Mérimée. Certains textes ont conservé des résonnances, d’autres moins. D’autres encore ont tellement été joués et adaptés à toutes les sauces qu’ils deviennent des monuments dépourvus d’authenticité. Il faut prendre en compte les époques, les contextes historiques, les circonstances qui ont fait exister toutes ces œuvres. Le projet de monter une telle œuvre n’a plus d’autre vocation que celle de témoignage. On entre alors dans un processus muséal qui n’est pas mon fort. Et j’ajouterais que le théâtre n’est pas qu’une aventure de texte !

Les êtres humains sont tellement riches de leurs différences, de leurs histoires quotidiennes, de leurs désirs, que je trouve souvent réducteur de ressortir des choses qu’on connaît déjà. Ce qui me plaît, c’est inventer ; ce que j'aime voir, c'est la créativité la plus totale. Et c’est une nécessité cognitive, pour celle ou celui qui invente et celle ou celui qui découvre. 

Même remarque pour la musique. Celle que je crée n’a rien d’inédit, je n’ai jamais cherché à trouver une griffe originale. En revanche, je mets un point d’honneur à créer chaque séquence sur mesure pour les comédiennes et pour le spectacle, à construire des tableaux musicaux qui auront le format adéquat, qui insuffleront la pulsion et le rythme précis qu’il faut quand il faut, ou encore savoir reproduire tel style d’arrangement, telle période, qui pourra sonner jazz, folk, baroque, disco, film d'action, etc., tant que ça fait sens avec le reste.

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